Ce que j’aurais aimé savoir avant de travailler en cuisine

La nourriture, pour moi, cela a toujours été une passion. Tous mes meilleurs souvenirs d’enfance sont associés, de près ou de loin, à la bouffe. J’ai toujours aimé ça, aussi bien la “grosse” bouffe bien grasse et délicieuse des bistrots, aux plus grands restaurants où j’ai eu la chance de mettre les pieds. Les passionnés comme Alain Ducasse ou (Monsieur) Paul Bocuse m’ont toujours plus inspiré et impressionné que n’importe quel artiste ou brillant joueur de foot. Mais, avant de devenir moi-même cuisinier, j’aurais aimé qu’on m’en dise un peu plus sur la réalité du monde de la cuisine.

En cuisine, le corps est mis à rude épreuve

On est loin, très loin, du cliché du cuisinier “Instragram” qui se pose tranquillement chez lui pour sortir un carré d’agneau romarin ou un tartare au couteau. Ici, il faut produire, parfois vite, souvent au détriment du corps. J’ai souvenir de shift qui duraient parfois plus de 12h sans une seule pause, debout sans arrêt, à jongler entre les plats. On court, on se brûle, on se coupe. Et on se fatigue. Et plus on se fatigue, plus l’on se coupe, se brûle… C’est un cercle sans fin. Et on a beau organiser tout son travail, préparer sa mise en place au millimètre, il y a toujours un élément perturbateur qui vient enrayer la machine. Une fois, c’est le serveur qui se trompe de commande (et il faut relancer, vite), la fois d’après, c’est l’apprenti qui ne respecte pas une cuisson de viande (et il faut relancer), ou une autre fois, c’est la plonge qu’il faut assurer en plein service parce que le plongeur “a un terrible mal de tête” (comprenez : “il a fait la bringue trop fort et n’est plus en mesure d’assurer quoi que ce soit”). Le corps des cuisiniers fait toujours office de tampon, quelle que soit la situation.

Chez soi, on mange mal

Tous mes amis me posaient la question : “mais tu dois trop bien manger chez toi, non ?”. La réalité, et c’est souvent partagé par les chefs que j’ai rencontrés, c’est qu’on ne cuisine pas (ou très peu) à domicile. Alors bien entendu, on sera mis à contribution pour les repas d’invités ou pendant les fêtes. On fera un petit foie gras, ou un pâté en croûte maison. Mais le “sandwich fromage”, mangé à même le comptoir est une base de repas pour tous les chefs. Ça, ou les pâtes à l’ail. Ou tout autre plat qui ne demandera pas plus de 5 minutes de préparation. C’est un peu triste d’en arriver là, mais il y a une forme de saturation, et les repas à domicile sont plus considérés comme une obligation physiologique que comme un réel plaisir gustatif.

On vit à contre-temps de tout et de tout le monde

Chaque samedi, c’était la même chose. Mes amis me demandaient d’un air gêné, et par politesse, si j’étais disponible pour sortir avec eux. Bien sur que non, j’allais devoir affronter une horde de clients affamés le soir venu. Je ne compte plus les anniversaires que j’ai du louper, les repas de famille le dimanche midi où j’étais explosé de fatigue. Au final, on sort beaucoup, mais entre personnes de la profession. Et sortir pour boire des bières un dimanche soir ne paraît même plus étrange.

Puisque le tableau n’est pas uniquement noir, il faut aussi relever les points positifs de bosser comme chef :

On utilise des ingrédients jamais vus

Avant de bosser en cuisine, pour moi, une bonne viande se résumait à ce que mes maigres moyens me permettaient à l’époque. Un onglet de bœuf, c’était absolument royal ! Un dos de cabillaud ? La classe !
Et la première fois que j’ai eu le droit en cuisine de toucher à des ingrédients d’exception comme du bœuf de Kobe (à la robe persillée et au goût incomparable), la viande maturée à la perfection, des poissons nobles comme le turbot ou le Saint Pierre, j’étais au paradis.

On développe des lubies étranges

Pour certains, ce sera la fermentation des aliments (coucou, Florent Ladeyn). Pour d’autres, ce sera la collection des meilleurs couteaux japonais sur le marché. Pour moi, c’était une obsession pour la “raw food” (aliments crus). La cuisine vous ouvre les portes de tout un univers gustatif et créatif illimité. J’ai toujours été vraiment admiratif des chefs en capacité de concevoir leurs plats par rapport à un accord mets-vin, mais aussi en fonction de leurs expériences de vie. Je me souviendrai toute ma vie d’un grand chef lillois, propriétaire d’un très bel établissement rue de pas (qui a fermé depuis, le chef et son épouse sont en retraite), qui dessinait ses plats façon estampe japonaise, avant de leur donner vie.

La solidarité est réelle

Comme dans tout travail physique, “l’arrière” du restaurant ne fait pas exception. Travailler en cuisine m’a fait rencontrer des personnes formidables, humaines et passionnées. Bien entendu, il y a toujours des exceptions, mais globalement, on travaille avec des hommes et des femmes prêts à vous sortir d’une mauvaise passe, et à vous couvrir auprès du patron quand vous avez fait une connerie. L’inverse est toujours vérifié.

Au final, travailler en cuisine est une très belle expérience. Même si elle est à des années lumière de ce que l’on peut lire dans les magazines, sur Internet ou à la télévision.